Caroline Sorger : inclusion par les arts

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Les pratiques artistiques ont des vertus thérapeutiques certaines.

Sont-elles accessibles à tous-tes pour autant ? Qu’en est-il des personnes en situation de handicap ? Comment les accompagner dans leur apprentissage ?

A Genève, le centre de formation continue de l’association Actifs propose des cours à des adultes avec des limites de capacités intellectuelles, des troubles autistiques ou encore des difficultés d’apprentissage. Encadrées par des professionnels, ces activités peuvent être effectuées en groupes. Il arrive d’ailleurs qu’elles soient ouvertes à tout public.

 

 

Caroline Sorger "In the right place at the right time"
Caroline Sorger "In the right place at the right time" (humanitart.ch)
Yann Bellini
-Yann Bellini-


Partons à la rencontre de l’une des enseignantes collaborant avec Actifs : Caroline Sorger, une artiste plasticienne genevoise lauréate de plusieurs prix dont le concours d’intervention artistique des HUG en 2005. Son univers très coloré s’inscrit dans la mouvance du recyclage, des œuvres souvent composées de supports de récupération en tout genre.

Nous nous sommes retrouvé un après-midi dans son atelier, Route de Chêne 78, dans l’ancienne école primaire de Grange-Canal. Un grand espace vitré qui a tout le charme d’un studio d’artiste : un désordre organisé sur les murs laissant place à un grand îlot central complètement vide. C’est ici que nous entamons notre discussion autour de nombreux cafés.

Interview

Yann Bellini : Comment en êtes-vous arrivée à collaborer avec l’association Actifs ?

Caroline Sorger : J’ai été approchée par eux début 2020. Je connaissais déjà la directrice de l’association qui travaillait aux HUG lorsque j’animais un atelier avec des adultes en situation de handicap.

Bien que je ne sois pas art-thérapeute, elle est venue vers moi car elle m’avait vu à l’œuvre. J’ai tout de suite dis oui car c’est un public qui m’intéresse beaucoup. Quand aux cours proposés par Actifs, c’est un peu comme une école club Migros, mais pour les adultes en situation de handicap. Il y a des cours de cuisine, de yoga, et bien sûr d’art.

YB : A qui s’adressent vos cours ? Sont-ils adaptés pour toutes personnes en situation de handicap physiques et/ou psychiques ?

CS : Oui, j’ai tout type de profil et de situation.

Par exemple, des personnes qui ont pu souffrir d’un AVC et qui n’ont plus les mêmes facultés manuelles ou intellectuelles. D’autres se situent plutôt dans le spectre autistique. Elles ont, pour la plupart, des difficultés quand à la gestion de leur environnement : les objets et personnes autour d’elles. D’autres élèves encore sont atteints de trisomie. Ceux auxquels je pense sont d’ailleurs très créatifs avec un goût certain pour l’humour.

Enfin, dans le cadre de mes cours privés, j’ai aussi des élèves avec des handicaps non-attestés par l’AI. Il s’agira de troubles de développement, des troubles cognitifs, voire de légers problèmes moteurs.

En ce qui concerne les troubles psychiques : rappelons que nous pouvons tous être concerné. J’ai des élèves qui traversent des crises dues à des maladies et séparations en tout genre.

Exprimer leur souffrance à travers l’art leur fait le plus grand bien. J’ai pu le remarquer, par exemple, chez des enfants avec des parents en plein divorce.

YB : Pour toute situation confondue, l’idée serait de créer ou retrouver un « élan créatif » ?

CS : C’est ça, un élan créatif. Il s’agit aussi de se connecter à quelque chose d’autre que des « éléments réducteurs » auxquels la vie peut nous confronter, retrouver une énergie que nous avons peut-être perdu.

Quand on créé, on se connecte à quelque chose d’invisible, une source intarissable. A partir du moment ou nous sommes connectés à cette source, plus rien ne peut nous arrêter. Je l’ai aussi observé chez moi. C’est un moyen de reprendre confiance en soi.

"Le plus important, c'est que ces projets leur appartiennent."
Caroline Sorger
Artiste et enseignante

YB : Vos cours se déroulent comment ? Vous mélangez les élèves à travers des activités collectives ou vous préférez leur accorder un suivi personnalisé ?

CS : Concrètement, je limite mes effectifs à six personnes. J’évite d’aller au delà pour avoir une bonne capacité d’écoute en deux heures, pour que chacun puisse aller dans quelque chose qu’il a envie de faire : dessin, peinture, collage, création de maquettes et de textures, etc.

Les enfants ont particulièrement besoin de temps d’écoute car avec l’école ils ne sont pas habitués à la liberté que je leur laisse dans le choix des techniques et des thèmes. Une fois qu’ils ont bien défini leurs intentions, ils sont inarrêtables (rires). Ils savent qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent et que je les soutiendrai.

Il arrive d’ailleurs que les proches soient mal à l’aise avec cette méthode car ils auraient préféré un apprentissage plus scolaire.

Disons qu’ils sont libres à 80%. Dès lors que je sens un besoin précis, je leur donne des conseils techniques : comment dessiner une main par exemple. Il arrive aussi qu’ils ne les suivent pas. Cela peut être dû à de trop fortes pressions sociales mais aussi par pure démarche artistique.

C’est à ce moment qu’on se rappelle que le plus important n’est pas de faire quelque chose de « beau » techniquement. Le plus important, c’est le chemin parcouru et le fait que ces projets leur appartiennent. Je tiens particulièrement à ce dernier point. La seule fois ou je suis intervenue c’est lors du projet de mail art.

YB : Le projet de mail art que vous évoquez, est-il né suite aux contraintes sanitaires liées au Covid ?

CS : Oui, la principale difficulté était de les amener à faire quelque chose qui ne passait pas par l’écran. Je ne les voyais pas du tout faire des séances à distance. Puis j’ai pensé au mail art car il y a un support concret et physique. Chaque courrier est parti d’une adresse et a atterri dans leurs boîte aux lettres.

Mail art

Caroline Sorger : Je disposais d’un grand tas de cartons qui nous a servi de matière première. Nous en avons fait des pliages en triptyques.

Ma première idée était qu’ils s’envoient leurs projets entre eux et interviennent sur les projets des autres mais, pour des raisons pratiques, j’ai rapidement dû faire office d’intermédiaire. Chacun a donc pu avoir un espace de création physique à travers ces cartons.

La règle était la suivante : la première personne a recevoir une enveloppe pouvait choisir un thème pour tous les autres. Beaucoup de choses personnelles ont pu en ressortir. Il y a en tout une quarantaine d’enveloppes qui ont pu être réalisées. J’espère pouvoir les exposer ici un jour…

Quand à moi, je me suis beaucoup occupé de la partie logistique (sourire), il faut compter 14 envois pour chaque projet en leur préparant des étiquettes à coller pour les renvois… c’est à dire des centaines en tout. Sans cela, il n’était pas forcement capables d’aller seuls à la poste ou de penser à se rappeler mon adresse. Sinon, ça a très bien marché.

Les rencontres hebdomadaires en ligne sont venus après ces échanges. Elles étaient alors pertinentes car il y avait quelque chose à montrer.

Yann Bellini : Ce fut aussi l’occasion de retrouvailles…

CS : … Oui, j’en ai même un souvenir touchant avec deux femmes de mon cours qui ont été séparées suite à de nouveaux placements de part et d’autre de la ville. Chacune a eu un AVC, et l’une a dû être mise en chaise roulante peu de temps après. J’ai vraiment ressenti leur joie de se revoir à travers ces réunions qui ont, malgré tout, permis de maintenir un lien.

YB : Vous parliez d’exposer ces œuvres et c’est justement là une particularité de vos enseignements : retrouver et/ou développer une fibre artistique mais aussi préparer une exposition… c’est leur apprendre à s’exposer publiquement quelque part ?

CS : Tout à fait, je fais ça depuis plus de vingt ans. Cela décuple la productivité (rires), c’est à dire qu’ils se mettent à réfléchir en termes de séries. Le fait d’être vu devient rapidement une motivation, j’ai pu observer qu’il y avait ce besoin.

Les élèves réalisent alors qu’il y a une dizaine d’étapes avant l’accrochage : depuis le choix du titre à la réalisation de photos et de textes de présentation.

Les échanges avec le public, des personnes qu’ils ne connaissent pas, sont très enrichissants pour eux. Le fait qu’ils leur posent des questions sur leurs intentions les valide socialement. Une reconnaissance sociale qui va au delà du cadre amis-famille.

Les élèves prennent alors d’avantage confiance en eux.

Informations pratiques :

  • Lundi et mercredi de 17h00 à 18h30
  • Grange-Canal – Route de Chêne 78 – 1224 Chêne-Bougeries
  • Enseignante : Caroline Sorger
  • Plus d’infos sur le site de l’association Actifs